Portrait d'Auguste Bartholdi
Huile sur toile - 93,00 x 73,00 cm.
Dédicacé, S.D.h.d. : « A mon ami Bartholdi – 1886 – Jean Benner »
Auguste Bartholdi (Colmar, 1834 - Paris, 1904)
(Frédéric) Auguste Bartholdi naît à Colmar le 2 août 1834. Son père Jean-Charles Bartholdi (Colmar, 1791 – 1836), conseiller de préfecture, épouse le 3 décembre 1829 Charlotte Beysser, riche héritière de biens fonciers (Ribeauvillé, 1801 – Paris, 1891). Le couple mène une vie mondaine provinciale, fréquentant les notables de Colmar. Le père décède prématurément le 16 août 1836 laissant Charlotte avec deux enfants : Jean-Charles (Colmar, 1830 – Vanves, 1885) et Auguste.
La famille s’établit à Paris en 1843, rue d'Enfer. Les enfants ont peine à s'adapter à la vie de la capitale. Auguste et son frère fréquentent le Lycée Louis Le Grand et l‘atelier du peintre Ary Scheffer (Dordrecht, 1795 – Argenteuil, 1858).
Aux vacances ils rejoignent Colmar et la propriété familiale, 30 rue des Marchands (actuel musée Bartholdi). Les étés se passent à la campagne dans une maison au bord de la Lauch.
Charlotte Beysser, la mère d'Auguste Bartholdi
Jean-Charles, le frère d'Auguste Bartholdi
Après des années d’apprentissage, Auguste exécute en 1855 son premier chef-d’œuvre, la statue en bronze du Général Rapp, inaugurée à Colmar en 1856. Il découvre l‘Orient (Egypte et Yémen) au cours d‘un long voyage en compagnie du peintre Jean-Léon Gérôme (Vesoul, 1824 – Paris, 1904). Il en rapporte dessins et photographies et produit La Lyre chez les Berbères, groupe en bronze exposé au Salon de 1857, dont une maquette est exposée au musée. Le jeune sculpteur participe à de nombreux concours, tantôt avec succès, tantôt avec désappointement, pour plusieurs monuments, dont un ensemble architectural destiné au plateau de Longchamp à Marseille. Le projet finira en procès à épisodes contre la municipalité. Il répond aussi à des commandes qui assoient sa réputation. Ainsi la Fontaine Bruat (Colmar, 1864) ou le Jeune vigneron alsacien (Colmar, 1869). Au Salon de 1870, il expose le modèle définitif en plâtre du Vercingétorix, chef-d’œuvre inauguré tardivement à Clermont Ferrand en 1903.
La statue équestre de Vercingétorix
Lors de la guerre de 1870 contre la Prusse, Bartholdi devient aide de camp de Garibaldi. Il met toute son énergie à sauver l‘Alsace des mains de l‘envahisseur. En vain, sa "petite patrie" est annexée en 1871 pour son grand malheur.
A la fin de cette année terrible, un voyage vers les Etats-Unis le lance vers le grand projet de sa vie : La Liberté éclairant le monde (1870-1886), la Statue de la Liberté à New York.
A la même époque il travaille pour la Ville de Belfort à un monument célébrant la résistance de la cité au siège de 1870 : le Lion de Belfort (1872-1880). Nommé commandeur de la Légion d’honneur en 1887, il est alors un statuaire de renom tant en France qu’aux Etats-Unis. Lyon acquiert en 1892 La Saône emportant ses affluents, plus connue sous le nom de Fontaine des Terreaux. Bâle inaugure en 1895 le Monument de Strasbourg, la Suisse accueillant les douleurs de Strasbourg, qui évoque à nouveau la période douloureuse de la guerre de 70.
Le Monument de Strasbourg, la Suisse accueillant les douleurs de Strasbourg
Les voyages à Colmar deviennent compliqués. Les autorités allemandes réduisent sévèrement le droit de séjour d‘Auguste dans sa ville natale. Sa mère qui l‘a rejoint à Paris décède en novembre 1891. Au même moment le chantier du percement du boulevard Raspail l‘oblige à quitter son atelier de la rue Vavin pour s‘installer rue d‘Assas. Triste fin de vie. En octobre 1904, il est enterré au cimetière Montparnasse avec les hommages militaires, une Renommée aux ailes déployées, inventée par lui, orne sa tombe.
Il aura bien voyagé...
Auguste Bartholdi, l'ambulant statuaire
Par Régis Hueber
Avant 1851, année des premières pérégrinations documentées, rien d’assuré quant aux déplacements d’Auguste, sinon les fréquentes allées et venues entre Colmar et Paris, lieux de résidence alternatifs de la famille Bartholdi depuis le décès du père, survenu en 1836.
Et voici qu’au mois de juillet 1851, en compagnie de Charlotte, sa mère et de Jean- Charles, son frère aîné, l’artiste en herbe entreprend un voyage à Londres où se tient le parangon de ces fabuleuses Expositions Universelles, hauts lieux de l’art et de l’industrie, qui drainaient des foules considérables et cosmopolites. En témoigne un album de dessins oblong, signé et daté, dont seuls les dix-huit premiers feuillets furent utilisés : esquisses au crayon de graphite et aquarelles les couvrent. Du célèbre Crystal Palace, point d’illustration. Du reste, exceptés trois aspects de l’Abbaye de Westminster, ce ne sont que scènes de rue et physionomies d’insulaires lestement croqués par Bartholdi, assurément caricaturiste doué.
A peine de retour à Colmar, l’on refait les malles — Charlotte se lamentera d’avoir emporté trop d’effets - et en route pour un quasi tour de France. Du 11 août au 30 septembre 1851, madame Bartholdi et ses fils visiteront les châteaux de la Loire — à Amboise, ils aperçoivent Abd El-Kader et son frère dont la beauté trouble Charlotte - Bordeaux, Bayonne, les Pyrénées. Excursions à cheval au cirque de Gavarni, au Pic du Midi. L’imprécision et la discontinuité des notes consignées dans l’agenda de Charlotte, brouillent l’itinéraire. Auguste et son frère, semble-t-il, sont allés vagabonder en Espagne. Puis tous trois excursionnent au Val d’Aran, en Catalogne. Plus tard nous retrouvons les voyageurs à Bagnères-de-Luchon. En diligence ils se voiturent à Montauban, Toulouse, Montpellier où s’amorce le retour. Haltes à Nîmes, Lyon, Besançon. Bientôt ils seront rendus à Colmar. Fin de parcours. Auguste et Jean- Charles n’ont point chômé : quantité de dessins difficilement attribuables à l’un où l’autre frère et précieusement conservés par Charlotte sont parvenus jusqu’à nous.
Parmi les jeunes artistes français qui participèrent à l’Exposition Universelle organisée à Paris au Printemps de l’année 1855, Jean-Léon Gérôme, Léon Belly, Narcisse Berchère, Edouard Imer et Auguste Bartholdi formèrent un Groupe des Cinq avant la lettre, non pas qu’ils partageassent les mêmes idéaux artistiques, mais un commun attrait pour les splendeurs du pays d’Egypte qu’ils se promirent de visiter, de peindre et de photographier. Au Caire, le lundi 10 décembre 1855, Gérôme et Bartholdi prennent congé de Berchère, Imer, Belly et mettent à la voile pour Assouan. Ils seront de retour le samedi 8 mars 1856, après avoir accompli une croisière déjà considérée comme un "classique" du voyage d’Egypte et que M. Cook n’allait pas tarder à vulgariser. Poussé par le démon de l’aventure Auguste envisage alors d’explorer la presqu’île de Sinaï, de rallier Djeddah puis, traversée la mer Rouge, d’aborder les parages de Kusseir. Quelques personnes lui représentent les difficultés et dangers sérieux d’une telle pérégrination, qu’il compte entreprendre seul, du moins sans la compagnie de Gérôme et consorts, en vadrouille dans le Delta. Par ailleurs, renseignements pris, il s’avère que les navires de la Cie Péninsulaire et Orientale au départ de Suez ne desservent pas Djeddah. L’unique relâche en mer Rouge se fait à Aden, port situé à la corne de l’Arabie. Aden ... L’Arabie Heureuse... La reine de Saba... Grisé, Bartholdi décide de partir pour l’Yémen fin mars. Environ le 29 mai, il aura rejoint le Caire, après s’être aventuré dans le protectorat d’Aden et les villes de la Tihamat (côte orientale de la mer Rouge) depuis Moka jusqu’à Luhayyah ; avoir risqué une incursion mouvementée dans le mystérieux imamat de Sana’a, sillonné en boutre le golfe d’Aden et abordé les rivages de l’Abyssinie. Le lundi 2 juin, il quittera définitivement le Caire pour gagner Alexandrie où s’achève sont premier séjour en Orient. Il retourne en France avec des portefeuilles bien garnis : une centaine de photographies - parmi lesquelles figurent les premières vues jamais réalisées en Arabie du Sud - et plus de deux cent dessins, précieuse documentation révélée par plusieurs expositions et publications.
Il est depuis le XVIIIe siècle, un voyage auquel nul connaisseur, nul antiquaire, nul artiste ne peut se soustraire sans provoquer quelque méprisant froncement de sourcils chez ceux qui ont accompli le rite : le voyage d’Italie. La commande d’une statue commémorative du général Arrighi de Casanova, Duc de Padoue, par les édiles de la Ville de Corte (Corse), sera prétexte au rapide « tour d’Italie » que Bartholdi effectue au printemps de l’année 1865. Les lettres et le journal illustrés de croquis humoristiques que le sculpteur adressa à sa mère sont conservés au musée Bartholdi. Embarqué à Marseille le 31 mars. Auguste atterrit à Naples le 3 avril : visite de Pompéi, ascension du Vésuve. Par voie de chemin de fer il gagne Rome. La fort vantée campagne romaine hérissées de ruines d’aqueducs ne l’enthousiasme guère. Grande effervescence dans la cité des Papes qu’il découvre le 9 avril : c’est la semaine Sainte. Où diable va-t-on loger ? Curieux et consciencieux, Bartholdi visite tout : musées, palais, ateliers d’artistes, églises, catacombes, forum et autres vestiges de l’Urbs. Non sans faire la moue. Il est déçu : ce qu’il avait imaginé l’avait tant exalté ! Et puis décidément, il y a dans Rome trop d’ecclésiastiques, trop de "bizarreries religieuses". N’empêche, tout parpaillot qu’il soit, il assiste le 13 avril à l’audience que Pie IX accorde aux ressortissants français et, trois jours plus tard se glisse dans la foule massée sur la place Saint-Pierre dans l’attente de la bénédiction Urbi et Orbi. Par curiosité, écrit-il. Mais comment donc ! Foin des divertissements, il faut songer au labeur. Bartholdi quitte Rome le 18 avril direction Livourne où il prend passage pour Bastia. Après avoir réglé ses affaires à Corte, il s’en retournera at home via Bastia, Livourne, Gênes, Marseille.
En 1867, Bartholdi expose dans le Parc Egyptien conçu par l’archéologue Auguste Mariette à l’occasion de l’Exposition Universelle qui se tint à Paris, une statue figurant Champollion. L’Egypte, alors, agite bien des esprits, en raison surtout des travaux titanesques du percement de l’isthme de Suez, entrepris par Ferdinand de Lesseps et dont l’aboutissement est proche (1869). Du reste, érigé dans l’enceinte de l’Exposition, le pavillon de la Cie du Canal de Suez abrite une immense maquette donnant à voir l’état d’avancement du creusement ainsi que les modèles réduits des impressionnantes machines hydrauliques mises en œuvre sur le chantier. Bartholdi, qui voit là matière à quelque ouvrage d’art, conçoit aussitôt un Projet de phare pour Suez. Restait à trouver et à intéresser les financiers. Ce ne fut pas chose aisée et le sculpteur devra patienter jusqu’au mois d’avril 1869 avant d’obtenir audience auprès d’Ismaïl Pacha, vice-roi d’Egypte, qu’il allait falloir convaincre de délier la bourse... C’est ainsi que Bartholdi, pour la seconde fois se rendit au Caire. Hélas ! L’artiste essuya un échec : Ismaïl lui opposa une fin de non recevoir, courtoise mais ferme. Cruelle déception ! Afin d’atténuer celle-ci, le "père" du Canal de Suez, Ferdinand de Lesseps, qui avait assisté à l’audience et ne fut peut-être pas étranger à la décision négative résolue par Ismaïl, convie Auguste à visiter les chantiers du canal, depuis Suez jusqu’à Port-Saïd. De retour au Caire Bartholdi consacre les derniers jours de son printemps égyptien à l’étude de potentiels embellissements de la ville et jette sur le papier deux projets d’un Mausolée à Mohammed Ali — le premier des vice-rois d’Egypte y est représenté assis appuyé contre le flanc d’un lion, tel qu’il figure dans le tableau d’Horace Vernet Le Massacre des mameluks dans la citadelle du Caire (1819) — de même que celui d’une fontaine monumentale. Aucune suite ne leur sera donnée. Rembarqué à Alexandrie le 24 avril, Bartholdi ne devait jamais retourner en Orient.
Il me reste à évoquer les cinq voyages qu’entre les années 1871 et 1893, Bartholdi effectua aux Etats-Unis et qui, tous, ont pour dénominateur commun La Liberté éclairant le monde, la plus célèbre des œuvres du statuaire.
1871. Lorsque le Péreire transatlantique à bord duquel il avait pris passage le 8 juin, entre en rade de New York, Bartholdi, monté sur le pont, embrasse du regard un panorama fort différent de celui qui se présente aujourd’hui aux yeux des voyageurs venus par mer : alors, l’absence de tout gratte-ciel semblait faire de New York une réplique d’Amsterdam, une ville portuaire aux maisons basses, avec le long des quais, de grands voiliers. Mais voici, ostensible dans l’immensité de la rade, un rocher ceint de fortifications, Bedloe’s Island (aujourd’hui Liberty Island), l’emplacement idéal immédiatement pressenti par Bartholdi de la future statue de la Liberté. Afin d’intéresser à son projet d’influentes personnalités, de nouer d’utiles relations et de repérer d’autres sites potentiels — qui ne remettront jamais en cause l’intuition première — il traverse les Etats-Unis d’Est en Ouest, exposant, commentant dans chaque ville étape du parcours la grande idée qu’il espère fort un jour matérialiser. Ce premier séjour américain aura duré cinq mois.
Auguste Bartholdi devant les chutes du Niagara
1876. Philadelphie, le temps de l’Exposition Universelle, est devenue le centre du monde, celui des arts et de la technologie du moins. Occasion rêvée de présenter aux Yankees le premier morceau achevé de cette "Liberté" que la France souhaite d’offrir au Nouveau Monde, savoir le bras brandissant le flambeau. Membre du jury français de l’Exposition, Bartholdi entame sa deuxième traversée le 6 mai. A bord du paquebot l’Amérique et pour se distraire, il exécute le portrait-charge des amis qui l’accompagnent, membres du jury tout comme lui. Le 6 septembre, à New York, il assiste à l’inauguration de son Lafayette arrivant en Amérique une statue offerte par le gouvernement français à la métropole américaine. L’auteur est abondamment congratulé. Quelques mois plus tard, dans Madison Square, les New Yorkais s’attrouperont devant le fragment de la statue de la Liberté, transporté depuis Philadelphie, où déjà le succès avait été considérable. Le nom de Bartholdi commence d’être connu. Entre-temps, comme à la sauvette, Auguste a convolé. Et c’est avec au bras Jeanne-Emilie Bartholdi née Baheux de Puysieux, qu’il enjambera la passerelle du vaisseau La France, en partance pour l’Europe, le 26 janvier 1877.
Jeanne-Emilie, l'épouse d'Auguste Bartholdi
1885. Au cours des huit années qui se sont écoulées depuis son dernier séjour outre Atlantique, Bartholdi, accaparé par le chantier de construction de la statue de la Liberté, n’a guère quitté Paris. Signalons toutefois de courts déplacements à Belfort (travaux et inauguration du Lion) à Langres (inauguration du Diderot) et une bréviuscule villégiature à Schinznach, station thermale suisse. Achevée en 1884, La Liberté éclairant le monde, démontée, mise en caisses et chargée à Rouen sur la corvette l’Isère en mai 1885, sera réceptionnée à New York le 17 juin. Soucieux d’examiner l’état d’avancement des travaux du piédestal et d’étudier avec le général Stone, ingénieur en chef, la question du remontage de la statue, Bartholdi, en compagnie de son épouse, entreprend une traversée qui lui devient familière. Le couple résidera à New York du 4 au 25 novembre.
1886. Le voyage triomphal. L’inauguration de la statue spectaculaire eut lieu le 28 octobre. Tout, ce jour là, se conforma à ses colossales proportions : la foule, le défilé militaire, la parade navale, les discours, la cohue, le balthazar en l’honneur de Bartholdi, les hommages. Les jours suivants virent renouveler festivités et félicitations. Exténués, Auguste et Emilie retournèrent en France le 13 novembre.
Bartholdi revint une dernière fois à New York l’année 1893. Nous ne possédons guère d’informations sur le séjour qu’il y fît. Une photographie prise sur l’île de Bedloe le représente vieilli, amaigri mais souriant, tenant la pose à côté de Richard Buttler — l’un des membres fondateurs du Métropolitan Museum of Art de New York - un ami dévoué. Très certainement, le sculpteur se déplaça-t-il à Chicago pour visiter la World’s Columbian Exhibition - encore une Exposition Universelle ! — commémorative de la "découverte" de l’Amérique par Christophe Colomb. Dans l’un des pavillons de l’Exposition, celui réservé à la présentation de fort précieux et coûteux objets d’art réalisés par Tiffany, la prestigieuse joaillerie new-yorkaise, resplendissait une statue extraordinaire figurant Christophe Colomb, haute de 2 mètres et fondue en... argent massif : «probably the largest statue ever fashioned in silver» — s’enthousiasmera un commentateur —, selon un modèle en plâtre exécuté, à Paris, par Bartholdi soi-même. Le plus épais mystère obscurcit le destin de cette fastueuse statue, que personne n’aurait jamais vu depuis... Subsistent, au musée Bartholdi, une réduction, en plomb, et son modèle en plâtre, de même qu’une figurine en aluminium et, à Providence, Rhode Island, U.S.A., dans Colombus Park, Réservoir and Elmwood Avenues, une réplique en bronze de la statue jadis exhibée à Chicago, signée et datée : "Bartholdi – 1893", érigée sur un socle de marbre.
A Paris, le 4 octobre 1904, Auguste Bartholdi partait pour l’ultime voyage...